▷ yesterday's trashs, tomorrow's news.

Les mioches. Cette bande de petites individualités diaboliques que personne ne peut supporter. Ces minuscules humains baveux, morveux, rouges de colère et toujours à patauger dans leurs couches pleines de merde. Le premier péché mignon de Zora. Elle en mangerait, du bébé. Moucher des p’tits nez qui coulent, se lever parce que l’une ou l’autre de ses gosses braille à s’en péter les cordes vocales, essuyer des fesses roses et s’en mettre plein les doigts, se faire mordre le sein à en hurler en donnant la tétée, c’est tout ce dont elle rêve. Des tendances sado-masos, peut-être. Sûrement. Mais un amour inconditionnel de ces choses infernales qui s’agitent dans leurs chaises hautes comme une bande de Greemlins déchaînés.

En deuxième position arrivent tout un tas de trucs. Collectionner les coups de cœur futiles, c’est un truc que Zora fait à la perfection. De toute façon, dans une vie comme la sienne, on peut pas trop espérer mieux que les petits plaisirs du quotidien. La musique hindoue de leurs voisins qui fait vibrer les murs trop mince du HLM familial, je coche. Le bruit de la pluie sur les carreaux, je coche. Et quand c’est la canicule, le bruit de la chasse d’eau peut faire l’affaire, c’est sensiblement la même chose, au fond non ? L’odeur acre des fonds de plats que sa mère a laissé chauffer un peu trop longtemps, je coche. Le bruit de la touillère au fond d’un gobelet en plastique, je coche. Les petites miettes que personne ne mange au fond du paquet de céréales, je coche. La tête de son prof d’anatomie quand quelqu’un lui pose une colle, je coche. Tout ça, ce sont les petites passions de Zora.

Passons maintenant à toutes ces choses que la brunette déteste. Là, elle est un peu moins originale. Elle déteste les services sociaux, parce qu’ils ont embarqué ses enfants. Elle déteste son mari, parce qu’elle ne veut pas admettre qu’elle risque de l’aimer toujours. Tout comme elle a horreur de l’injustice, du froid, du vent qui s’engouffre par les interstices des fenêtres mal isolées du quartier. Amère. Voilà ce qu’elle est. Comme les chocolats à la ganache qui la tentent tous les matins quand elle va à la fac, qu’elle ne pourra jamais goûter parce qu’elle n’en a pas les moyens. Et de toute façon, la propriétaire la regarde si mal qu’elle sait bien que jamais on ne la laissera entrer. C’est trop chic, c’est pas un endroit pour les miséreux, la chocolaterie. Alors son seul petit plaisir dans ces moments-là, c’est de regarder la cassette de ce bon vieux Charlie et la Chocolaterie avec Blondie, sa seule mioche assez âgée pour comprendre l’histoire. Maintenant, Blondie est ailleurs. Loin, bien trop loin. Les services sociaux n’ont pas embarqué la petite et sa cassette, malgré le fait que Zora ait insisté, presque supplié les responsables de cet enlèvement pour que les filles gardent au moins des points de repères de leur vie. Alors Zora a toujours la cassette. Il lui arrive de la mettre dans le vieux magnétoscope de sa mère pour revoir encore une fois Willy Wonka présenter à Charlie les mille et un parfums de sa chocolaterie. Et elle retient ses larmes, songeant que peut-être, un jour ou l’autre, elle tombera elle aussi sur un ticket d’or.

▷ hi, society.

Une contraction, puis un hurlement. Une contraction, un cri. Une contraction, un cri. Une contraction, un hurlement. Une contraction. Un cri. Une contraction. Un gémissement. Un hurlement. Un enfer. Une contraction. Un frisson. Une contraction. Un accouchement. Un envol.

Un bébé. Zora.

La voilà expulsée du ventre de sa mère. Des couleurs, des sons, des odeurs. Le gémissement d’autres petites entités qui saluent le début de leur humanité.

Zora. Un grand z farouche, sombre et mystérieux. Un o doux et plein, bleu, velu, qui sent l’herbe fraiche et qui apporte une touche d’harmonie à ce prénom. Un r animal, ronronnant, mais qui peut se montrer amical quand on le connait suffisamment. Seulement, le a qui le fréquente à longueur de journée, son voisin dans le prénom de la petite, n’est pas vraiment de cet avis. Consonne et voyelle. Sans cesse en querelle.

Zora. De Z à A. La petite est destinée à vivre sa vie par la fin. Elle naît dans un monde si impitoyable qu’il lui faut être adulte au sortir du ventre maternel. L’enfant est projetée dans un océan d’âmes, la famille Murphy-Llères, qui a pour hobby d'adopter des petits arabes. Elle est la dixième d’une famille de douze. Douze vies qui s’entremêlent pour former un tout, homogénéité hétérogène aux saveurs sahariennes. Et un singe, tiens. Un chimpanzé, qui s’appelle Mowgli. En France, c’est interdit, mais jamais les autorités n’iront contrôler un HLM aussi merdeux que celui des Murphy-Llères pour s’assurer qu’ils n’ont pas un pensionnaire poilu parmi leurs enfants. Et puis de toute façon, Malik, le frère de Zora, a une pilosité suffisamment développée pour faire passer Mowgli pour son jumeau si jamais.

Tout est multitude, ici. Douze enfants. Douze brosses à dents. Douze fêtes d’anniversaire, même si on les oublie toujours. Douze parcours. Douze tranches de vie.

Solitude. Tant de solitude. Trop de solitude dans la multitude.

Zora grandit. Enfant dont les cellules se développent de jour en jour, elle atteint bientôt un mètre vingt. Zora a six ans. Cour d’école, brouhaha. Une tâche de rousseur. Puis une autre. Clarence. Zora aime ce prénom, il donne envie de jouer avec le l et de se confier au n. Mais ça elle ne le dira pas, on la regarderait mal.
Morveux au jean déchiré qui s’approche. Considère la petite puis se lance.

- Hé, t’as des biscuits pour moi ?
- Non.
- Même si j’te les achète ?
- Non.
- Quoi, t’en a pas ?
- Non.
- Ou alors tu veux pas que je te les achète ? J’te jure, j’ai d’quoi t’payer, c’pas une blague !
- Non.
- Tu sais dire quelque chose d’autre que non ?
- Oui.
- Oh, cool. Sinon, c’est quoi ton prénom ?
- …
- T’as pas envie de m’connaître, hein ?
- Non…
- Et si moi, j’ai envie d’te connaître ?

Elle est comme ça, Zora. Elle pense, elle parle pas. Mutisme obstiné dans une foule bruyante. Mensonge. Elle a envie de le connaître.

Un mètre soixante-dix. Stop. Fin de croissance. La vie pour autant ne s’arrête pas. Seize ans.

Mowgli a eu un bel enterrement. C’est Zora qui a dû jeter la petite bête dans la benne à ordures en toute discrétion. La petite boule poilue a fini hâchée dans une déchetterie, ni vu ni connu. Mais c’est plus ce genre de poils qui préoccupe Zora.

Poil de carotte.

Lui, toujours lui. Elle a appris à la connaître. Il fait parti de son paysage à présent. Ombre rousse au fond de la classe. Tâche orange dans sa cage d’escalier. Toujours lui. Résistance, puis abandon. Elle l’aime.

Elle ne s’est pas encore lavé les mains. Ses ongles sont  toujours souillés de poils de singe, mais plus rien n’importe. Il est là. Il vient de surgir de derrière la poubelle. Romantisme. Ou pas. Un simple échange de regards, sans un sourire. Et un baiser. Peut-être n’aurait-elle pas dû, n’est-ce pas ? Parce qu’un baiser aussi passionné, torride, ça n’a rien d’éphémère. Non, elle est liée à lui, d’abord par une attirance physique et sauvage. Puis par les sentiments. Par la famille, ensuite.

Son ventre s’arrondit, et PAF. Comme un ballon qu’on dégonfle, et qui libère une petite fée. Blondie. Zora aurait tout donné pour être blonde, son bébé ne l’est pas non plus. Mais ça, ça a peu d’importance. Ce qui en a, c’est les deux premières consonnes qui coulent sur la langue comme une rivière d’espoir et de diamants. La bouche qui fini le prénom en écartant les lèvres, dans un sourire éphémère mais si rayonnant. Puis voilà Doe. Et Rêve.

Peut-être que ce n’était rien que cela, finalement. Un rêve. Si vite arrivées, dès les dix-sept printemps de Zora. Si vite reparties, sur un coup dans l’épaule. Le seul témoin de leur présence, c’est Willy Wonka, cette putain de cassette de Charlie et la Chocolaterie, qui lui rappelle qu’un jour elle a eu des filles.


Zora ouvre la fenêtre de l’appartement maternel. Elle tient la cassette à bout de bras. Casse le fil transparent de la bande, le déroule jusqu’à ce qu’il soit suffisamment long pour flotter en longeant les maisons crasseuses jusqu’à la pénombre du bout de la rue. C’est sa vie, ce fil transparent. Incertain, ondulant, si mince et fragile. Mais si on répare la bande, elle renferme une tonne de chocolats à la ganache.

Seulement, est-il encore temps de l’enrouler de nouveau, ou vaudrait-il mieux ouvrir les doigts et laisser son passé s’envoler ?

▷ you know you love me.

PSEUDO/PRÉNOM: .LennonÂGE: 17 piges ! FRÉQUENCE DE CONNEXION: 05/07. SCÉNARIO/INVENTÉ: scéna' de Clarence Marszalek AVATAR: Chanel Iman COMMENTAIRE: