▷ Chapitre 1

Les méandres de l'âme
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Mael,

Parfois, les mots ne suffisent plus. Et j'imagine que j'ai merdé au point de ne plus pouvoir l'exprimer. A présent, je réalise qu’il y a tant de choses que j'aurais aimé te dire, avant de tout détruire. Mais voudrais-tu seulement les entendre ? N’est-il pas trop tard pour que tu puisses un jour pardonner mes erreurs, pour que tu crois en moi à nouveau ?
Tu sais, je n'ai jamais voulu t'abandonner. Jamais. Mais ça non plus, tu ne le croiras sûrement pas... Tu étais si jeune, tu ne t'en souviens peut-être pas, mais j'ai touché le fond une bonne centaine de fois. Pourtant, ce jour-là, je te jure que je voulais être là pour toi. Si seulement je pouvais te dire toute la vérité... Ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais je suis censé être mort depuis déjà cinq longues années. J'aurais dû partir, pour me protéger, loin de ce gang, de ces rues, de la drogue... Mais je n'ai pas pu. Je n'ai pu me résoudre à te laisser, à cesser de te protéger. Dans l'ombre, j'ai gardé un oeil sur toi, comme je te l'avais promis cette nuit-là...


Le vent violent faisait craquer les volets dans une ambiance sinistre. Je pouvais sentir sa peur, comme si mes sens étaient exacerbés. A travers le martèlement de la pluie, je percevais le bruit étouffé de ses sanglots, alors que je m'extirpais de mon lit, doucement. Je ne voulais pas que Lena et mes parents m'entendent et qu’ils m’obligent à retourner dans ma chambre. Heureusement, je connaissais chaque recoin de cette maison et au fil du temps, j’avais appris où poser mes pieds afin de ne pas faire craquer le parquet ciré. C’était presque devenu un jeu de me faufiler ainsi, dans le noir, sans un bruit. Alors, lorsque j’ouvris la porte de Mael, ce dernier ne m’avait pas non plus entendu arriver… C’était un détail auquel je n’avais pas du tout pensé, jusqu’à ce qu’il crie, effrayé à l’idée de voir un monstre pénétrer dans sa chambre en plein milieu de la nuit. Paniqué à l’idée que son cri ne réveille toute la maison et ne me fasse repérer, je courus jusqu’à son lit, afin de planquer ma main contrer sa bouche. « Chut Mael… c’est moi ! » Ses yeux, toujours écarquillés par la surprise, se vidaient peu à peu de leur terreur et je retirai lentement ma main. « N’aies pas peur, je suis là… » Un sourire doux vint doucement étirer mes lèvres, tandis que je prenais délicatement son visage entre mes mains. Essuyant ses larmes de mes pouces, je me penchai afin de lui embrasser tendrement le front. Jamais je n’avais fait ça auparavant et pourtant, cette nuit-là, cela me semblait si naturel... « Je ne veux pas rester seul… » Moi non plus, je ne voulais plus être seul. Je voulais trouver quelqu’un qui puisse me comprendre, me voir tel que j’étais et lui, depuis le premier jour, il me regardait comme si personne ne pouvait être plus grand et fort que moi. Et je crois que c’est à cet instant précis que tout a commencé… « Tu ne seras plus jamais seul, Mael. » Mon ton était assuré. Du haut de mes onze ans, je venais de faire la première promesse que je me sentais prêt à tenir. Pour de vrai. « Je te protégerai. » Sur ces mots, je me glissai dans son lit, afin de l’entourer de mes bras. Le cœur battant, je sentis sa tête se lover au creux de mon cou, alors que je lui caressais les cheveux, jusqu’à ce que le sommeil ne vienne nous envelopper. Bercé par la chaleur de son corps blotti contre le mien, je me sentais invincible. Comme si plus rien ne pouvait nous atteindre à présent.


Quand j’y pense, je me dis souvent que tout aurait pu me pousser à te haïr, toi l’enfant issu d’un adultère dont j’ignorais tout. Tu as débarqué dans ma vie et t’y as mis un sacré bordel. Je n’avais jamais vu mes parents se disputer de cette façon auparavant. Mais avec du recul, je réalise que ça aurait pu très mal se terminer. Peut-être qu’au fond, je ne suis pas le seul à avoir voulu te protéger dès le premier regard. Pas seulement parce que tu étais mon frère, mais parce que tu semblais avoir réellement besoin de moi. Et avant toi, je n’avais jamais ressenti ça. Pas même avec Thomas. Pourtant, j'aurais aimé le protéger au même titre que toi, mais là encore, j'ai échoué. Deux fois.
Je ne suis pas un modèle, tu vois, encore moins le héros que tu voulais que je sois. Mais pour vous deux, et surtout pour toi, j'aurais voulu être meilleur, ne serait-ce qu'une fois.

▷ Chapitre 2

Le temps des métamorphoses
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Tu dois sans doute te demander comment j'en suis arrivé là. Ou peut-être que Soan te l'a expliqué. Lui qui a tout vu de l'intérieur, qui a tenté de freiner ma chute. En vain. Parce que j'étais trop fier pour admettre mes limites. Je n'avais peur de rien. J'étais con. La peur c'est ce qui nous maintient en vie. Sans elle, il est plus facile de faire de mauvais choix. De se sentir au-dessus des règles, au-dessus de tout. Mais personne n'échappe aux lois de la rue. Personne. Avoir ses propres alliés ne nous protège pas des ennemis, ça n'arrête pas les balles...


« Arrête tes conneries, Nolhan ! » Un rire moqueur s'échappa de mes lèvres alors que je recomptais les sacs de poudres et de pilules que j'avais emmené avec moi ce jour-là. A première vue, j'en avais assez pour mes ventes de la soirée. A force de dealer dans ce quartier, je connaissais approximativement la quantité de came que j'arrivais à écouler. Et autant dire que la clientèle ne manquait pas. « Tu crois vraiment qu'ils vont nous laisser empiéter sur leur territoire ? Max a raison, ça va nous attirer des ennuis, on doit changer de zone avant que toute cette merde ne finisse par éclater. Alex et toi, vous êtes trop bornés pour voir la réalité... » Je détestais qu'il me fasse la morale. J'avais déjà un père et une mère qui gueulaient dès que je posais un pied dans cette putain de cage dorée qui nous servait de foyer. Leur rêve ? M'y enfermer jusqu'à ce que je revienne à la raison. Alors que je n'avais jamais été aussi lucide de ma vie. Je voyais enfin au-delà des néons de la bienséance. J'avais brisé mes chaînes et j'étais prêt à m'envoler. Pour être honnête, si mes petits frères ne m'avaient pas attendu entre ces murs fades où j'avais grandi, peut-être n'y serais-je pas retourné plus d'une fois par an. Mais Thomas attendait que je lui invente des histoires digne d'un mec sous acide, alors que je ne lui offrais que les moments les plus clean de mon existence. Et Mael, lui, m'attendait dans mon lit, aussi fragile que lorsqu'il n'avait que six ans, et pourtant, si différent. Jamais je n'avais manqué à ma parole, pas une seule fois, et qu'importe la merde dans laquelle, je m'étais fourré, j'étais là, juste parce qu'il me l'avait demandé. Je n'avais aucune autre attache que ces deux-là, aucun autre devoir envers qui que ce soit. Soan le savait, alors il était inutile qu'il tente de m'imposer sa manière de voir les choses. Non pas parce que son amitié ne signifiait rien pour moi, au contraire. Mais j'étais un électron libre, il le savait. Et je n'écoutais toujours que moi. « Arrête de stresser, ils essaient juste de nous impressionner, voilà tout. Si on se laisse faire, tous les autres vont nous marcher dessus et il n'y aura plus aucun recoin dans cette ville où on sera encore autorisé à mettre les pieds... » Sur ces mots, je grimpai sur ma moto, enfilant rapidement mon casque avant de démarrer au quart de tour en direction des spots les plus prisés dans ce coin de la ville.


En faisant mon petit commerce, j'ai empiété sur le territoire d'un gang, qui a rapidement pris mon comportement comme un affront, une déclaration de guerre. Et le jour de tes treize ans, ils m'attendaient avec une arme. Dire que je n'ai pas eu peur serait un putain de mensonge. J'ai pensé à vous, à toi qui m'attendait pour ton anniversaire, à Thomas qui m'avait fait promettre de l'emmener en virée sur ma bécane. Bien sûr, j'ai pensé aux parents et à la culpabilité qu'ils allaient ressentir. Pas un seul jour nous nous étions parlé sans cris, ni larmes. Je n'ai jamais été le fils qu'ils auraient aimé avoir et je me persuadais que ça n'avait plus d'importance, puisque vous pouviez aisément prendre la relève. Cependant, la liberté a toujours un prix. Et j'ai tendance à l'oublier encore parfois. Pourtant, je me souviens de chaque seconde de cette journée...


« Alors comme ça, tu penses pouvoir faire ce que tu veux ici... Ecoute-moi bien petit con, je t'ai suffisamment prévenu... La plaisanterie a assez durée. » Le regard noir de Dino braqué sur moi, je ne pourrais jamais l'oublier. C'était à cet instant précis que la peur s'était insinuée en moi. La peur de mourir bien trop tôt, à l'aube de mes dix-huit ans. Dire que je ne l'avais pas mérité serait relativement hypocrite, mais après tout, la rue ne leur appartenait pas vraiment, non ? A présent, je découvrais leurs méthodes de dissuasion... Je serais un exemple, mort pour nous donner une bonne leçon. Arme au poing, le bras tendu vers moi, il ne cilla pas une seule fois. Je n'étais pas le premier à mourir pour la cause, et sans doute pas le dernier à qui il ôterait la vie. « Nolhan... ! NON... » La voix de Soan attira mon attention alors que le coup partait dans un bruit bouleversant qui hante encore mes cauchemars... La balle entra presque instantanément dans ma chair et je m'écroulais lentement sous la douleur de l'impact. Je ne serais jamais présent pour l'anniversaire de Mael et pour la première fois, je faillirait à ma promesse... Cette pensée surpassa toutes les autres, alors que je me retrouvais allongé sur le bitume. Le sang imprégnait progressivement mes vêtements, et la douleur brûlante m'engourdissait le corps. Tout était fini, je pouvais le sentir. La voix lointaine de Soan me parvenait d'un autre monde et pourtant, il était agenouillé à mes côtés, afin de maintenir une certaine pression sur ma plaie. J'admirais son courage face à la mort de son meilleur ami et dans un ultime effort, je posai ma main sur la sienne avant de murmurer. « Cours... » A travers le voile douloureux qui recouvrait mon champ de vision, je vis Dino pointer son arme sur lui. Heureusement, mon avertissement porta ses fruits et alors que je sombrais enfin sous son regard impuissant. Il lâcha prise afin de prendre la fuite.


Soan a du me laisser derrière lui, agonisant. Ce choix a sans doute été le plus difficile de son existence. Mais sa mort ne m'aurait pas aidé à survivre, au contraire. Grâce à sa fuite, aucune d'eux n'a pensé à venir m'achever, pensant sans doute que de toute façon, je crèverais seul dans cette ruelle. Et ils n'avaient pas tord. Sans l'arrivée de Mathias, je n'aurais pas eu la moindre chance. Mais il était infirmier, passionné par sa profession, impulsif et surtout, redoutablement efficace. Quoi qu'il m'en coûte de l'admettre, je lui dois la vie. Il m'a donné les premiers soins jusqu'à ce que les pompiers viennent me chercher et à mon réveil à l’hôpital après deux semaines passées dans un coma artificiel, qui avait permis à mon corps de se remettre de ses blessures, il était encore là. Ses collègues s'amusaient de la situation en disant que j'étais son patient préféré, son miraculé. Cependant, jamais il n'a accepté la moindre éloge à ce sujet, et aujourd'hui encore, il hausse les épaules en répétant que n'importe qui aurait pu faire la même chose. Mais ce sont des conneries. Personne ne serait venu en aide à un dealer, même si son sang est bleu.
Mathias est différent. Pourtant, je lui ai menti, sans le moindre scrupule en lui disant que je m'appelais Alan Morrel. Je n'avais pas le choix, je devais vous protéger de Dino et s'il me croyait mort, il ne viendrait pas me chercher jusqu'à chez nous en tirant sur tout ce qui bouge. S'il me croyait mort, son désir de vengeance serait étanché. Mentir n'a jamais été un problème pour moi, par le passé, mais cette fois-là, alors que je décidais de mettre fin à ma véritable existence, je ne pensais plus qu'à vous. Jamais je ne pourrais vous revoir. Jamais. Et derrière mes airs détachés, j'avais le sentiment de mourir… lentement.

▷ Chapitre 3

Les poussières d’étoiles
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Pour parfaire ma nouvelle identité, j'ai utilisé mes connaissances les plus malsaines des réseaux parallèles et je me suis payé de faux papiers avec l'argent qu'il me restait. Mais ce n'était pas vraiment un problème puisque Mathias m’avait proposé un poste de brancardier dans l'hôpital où j'avais été soigné et où il travaillait depuis tout juste six mois. C'était facile pour lui, son père - un éminent neurologue - était passé directeur de l'établissement cinq ans plus tôt. Cependant, je déteste me sentir à ce point redevable pour tout ce qu'il a fait pour moi. Bien qu'il soit devenu mon ami le plus proche et, - crois-le ou non - mon colocataire, je ne peux oublier cette dette qui me pèse plus que je ne voudrais bien l’avouer.


« Pourquoi tu ne m’as rien dit… ? » Accablé par la douleur, je levai mon regard vers lui. Mathias semblait porter le costume comme si son corps avait été taillé pour ça. Pourtant, il était tout aussi élégant en jean ou en blouse. Tout lui allait et aujourd’hui, ça m’exaspérait. Je ne voulais pas de sa pitié, de son soutien infaillible. Je voulais qu’il me déteste, qu’il m’abandonne, qu’il me déçoive. Parce que ça, j’aurais pu le supporter. J’aurais eu une vraie raison de lui en vouloir. Alors que j’en avais été incapable, jusque-là. Et ce n’était pas l’envie qui manquait. « De quoi tu parles ? » Son soupir me donna l’impression d’être un gosse de cinq ans qui fait un caprice pour avoir un peu d’attention. « A propos de ta véritable identité, Nolhan… » Il avait prononcé mon prénom avec une déception telle que j’aurais voulu le faire taire d’un coup de poing. Mais j’étais le menteur de l’histoire, et malgré ma peine, je ravalai ma colère pour reprendre une attitude désinvolte qui camouflait tout juste mes sentiments. « Et alors ? Tu vas tout déballer ? Vas-y je t’en prie. Quoi que tu fasse ma journée ne pourra jamais être pire. » Contre toute attente, il m’enlaça avant de poser son front contre le mien. « Après tout ce qui s’est passé, tu me crois capable de te mettre en danger ? Je sais pourquoi tu as menti, je me suis renseigné… Et je sais aussi pourquoi tu es là… » Je refusais qu’il prononce ces mots, c’était trop douloureux… Alors, sans réfléchir, je posai mes doigts sur ses lèvres. « Ne le dis pas… » Ma propre faiblesse me submergeait et c’était insupportable… Je détestais perdre pied de cette manière, surtout devant un témoin, quel qu’il soit. Mais c’était ma mère… Et malgré toutes ces disputes, ces non-dits, j’en crevais de la perdre, de la voir dans ce cercueil. « C’est de ma faute… » Ma mort l’avait déstabilisé et il s’en était fallu de peu pour qu’elle ne lâche prise, laissant derrière elle une famille à l’agonie. Et je ne pouvais m’en prendre qu’à moi seul. Parce que je détruisais tout ce que je touchais et lorsque je regardais le visage ravagé de mes frères, de mon père, je ne pouvais que réaliser à quel point j’avais gâché leur existence. Pourtant, j’aurais tout donné pour pouvoir être à leur côté, les prendre dans mes bras, ne serait-ce qu’une fois. Mais c’était impossible. Révéler mon secret serait bien trop dangereux pour eux, alors je restais à l'écart du groupe, dans l'ombre. Qui sait ce que Dino pourrait faire pour s’en prendre à moi s’il découvrait que j’étais encore en vie ? Je ne pouvais pas risquer la vie de mes proches. Mes frères avaient déjà beaucoup trop souffert. « Je suis là… » Sa main dans mes cheveux me rassurait plus que je ne l’aurais voulu. Mais il était devenu mon seul point d’encrage, je n’avais plus que lui. Et même si j’étais bien incapable de lui exprimer ma souffrance, je savais qu’il ne me lâcherait pas. Il me retiendrait, alors que mon corps tout entier rêvait d’aller s’échouer au bord de cette tombe, de ce trou béant, à même la terre. Il m’emprisonnerait afin que je puisse résister à l’envie d’aller prendre Mael dans mes bras, pour sécher ses sanglots, et d’embrasser le front de Thomas en lui promettant un futur plus beau. Et même dans les pires moments, je n’étais pas capable de veiller sur eux comme il se doit, parce qu’à cause de mes conneries, ils étaient seuls, ils étaient détruits…


J’aimerais dire que je suis désolé. Parce que notre mère s’est suicidée et que je suis le premier responsable de sa mort. Parce que je vous ai détruit au point d’en devenir nocif… Mais je ne mérite sûrement aucun pardon, alors à quoi bon ?
Un jour, je devrais faire face à ton regard, et me voir à travers tes yeux. Je redoute et attend ce moment avec une certaine fébrilité. Peut-être que le plaisir de pouvoir vivre à nouveau à travers toi est plus fort que tout… Parce que je te vois, tous les jours, veillant sur toi de loin, mais rester dans l’ombre devient chaque jour plus insupportable. Je ne suis qu’un fantôme, errant sur terre pour ne pas te laisser seul. Mais la vérité c’est que nous sommes seuls, dans deux mondes distincts et que j’en viens à suffoquer quand ton regard se pose au loin, sans me voir.


« P’tain mais qu’est-ce que tu fous ?! » Eh merde… Je l’avais réveillé. Et j’allais avoir droit à sa crise d’angoisse post soirée gay. Franchement, on aurait gagné un temps fou si Mathias avait arrêté de flipper sur son orientation sexuelle et s’il avait accepté que les mecs puissent l’attirer à ce point. Mais non, il refoulait ça à longueur de temps, jusqu’à ce qu’une trop forte prise d’alcool et autres stupéfiants ne nous désinhibent complètement. Enfin surtout lui, parce que pour ma part, je n’avais rien contre le fait de coucher avec lui. Outre le fait que ce soit mon coloc et accessoirement mon meilleur ami et que par conséquent, ça nous mettait sur une brèche qui pouvait nous engloutir à tout moment. « Désolé princesse, mais tu n’auras pas ton petit dej’ au lit ce matin, les affaires m’appellent. » Un sourire se dessina sur mes lèvres, alors que je l’entendais marmonner sous le drap. « Comme si c’était ton genre de m’apporter mon petit dej’ au lit… La blague… » Grimpant agilement sur le lit, je marchais à quatre pattes jusqu’à lui avant de soulever le drap pour capturer ses lèvres, l’embrassant comme je l’avais fait la vieille. Surpris, il me répondit timidement, avant de me repousser sans ménagement, se rappelant subitement qu’il était hétéro ou que j’étais un mec, comme vous préférez. « Qu’est-ce que t’es prude quand t’es sobre… » J’aimais le charrier même si j’avais conscience du mal être qu’il devait ressentir face à tout ça. Cependant, ce n’était pas en entrant dans son jeu et en le laissant croire qu’être bisexuel allait gâcher sa vie que je l’aiderais. Et puis, ça m’énervait qu’il n’assume pas nos écarts de conduite, je dois bien l’avouer. Une fierté mal placée qui devait le blesser plus que je ne l’imaginais. Mais après tout, je ne l’avais pas forcé à faire quoi que ce soit la nuit dernière… « Je suis hétéro, Nolhan… Je fais tout un tas de trucs quand je suis stone, comme ramper dans le salon et ça ne signifie absolument rien. » Excédé par son énième crise identitaire, je ne répondis rien. Si ça pouvait le rassurer tant mieux. Ce n’était pas comme si nous étions en couple après tout. C’était mon meilleur ami, et ça s’arrêtait là. Même si notre relation se compliquait plus qu’elle ne l’aurait dû, parfois. « D’ailleurs, plutôt que de me faire la morale sur ce que je suis ou ne suis pas, tu ferais mieux d’arrêter tes conneries… Tu veux finir en taule ou quoi ? ça ne t’a pas servi de leçon la dernière fois ? » Finalement, je le préférais en hétéro coincé, c’était plus drôle. Là, il ressemblait à mon père et ça m’agaçait déjà. « Déstresse, le quartier où je revends les médocs n’appartient pas à Dino, ou même à un autre pourri dans son genre. » Imperturbable, je transférais les sachets de médicaments de la petite mallette où je les entreposais d'ordinaire, jusqu'à la petite sacoche que je glissais ensuite à l’intérieur de mon manteau. « Et les flics ? Si tu peux échapper à Dino, tant mieux, mais la prison ? » Sans un mot, je refermai la mallette, avant de la cacher au fond de mon armoire, puis j’enfilai ma veste avec nonchalance. « Arrête de t’inquiéter pour moi. Je les vole à ton père ces médocs après tout, tu devrais être le premier à me dénoncer. » Malicieux, je lui adressais un sourire taquin, sachant très bien que cette remarque suffirait à le faire changer directement de registre. « Tu parles, si ya bien une chose qui me plait dans ton trafic, c’est bien l’idée que tu te fasses de l’argent sur le dos de ce con… » ça marchait à tous les coups. Mathias détestait ce père absent qui l’avait toujours dénigré parce qu’il n’était pas assez bien pour être son fils. Comme si être médecin était le seul gage de réussite. N’importe quel autre père aurait été fier de lui. Moi, en tout cas, j’étais fier de lui. Je savais que lorsque je plongeais dans l’abîme, il viendrait toujours me chercher. Et, c’était confiant, que je quittais l’appartement, parce qu’il serait toujours là, à mon retour. Étoile immuable dans mon existence.


Voilà, tu sais tout à présent. Enfin, ce serait le cas, si j’avais réellement eu l’intention d’envoyer cette lettre, mais c’est purement impossible. J’avais simplement besoin d’évacuer tout ce que je crevais d’envie de te dire depuis si longtemps, sans pouvoir le faire. Ta sécurité passera toujours avant tout. Même si pour en arriver là, j’ai fait énormément d’erreurs, et j’espère pouvoir un jour te conter mon histoire, celle qui t’a fait tant souffrir.

A bientôt p’tit ange,
Ton frère
Nolhan