Petit garçon effrayé devant une vie qui fout le camp. J'entends des tas d'histoires. Des histoires que je comprends pas bien. Ça parle de pute, de baise et de coke seulement, je n'arrive pas à mettre de définition sur un seul de ses mots. Pour moi, une pute, c'est qu'une glace au chocolat. Ou peut être un cerf-volant. En réalité, je n'ai aucune idée de ce que c'est. J'ai six ans, et pour moi la vie se résume à des retards incessant en classe pour cause de bouchons alors qu'on a vendu la voiture depuis longtemps. A des attentes interminables devant une école vide parce que ma mère n'a pas été capable de se souvenir de mon existence. A des chuchotements de mères aux foyers qui me regardent en me prenant en pitié. Puis surtout, ma vie, c'est les bam bam contre le mur de ma chambre quand je veux m'endormir. Ce bruit, c'est le lit de maman qui frappe contre le mur de ma chambre. C'est comme ça tous les soirs. Sauf le jeudi. Le jeudi, je peux dormir parce que c'est le jour de congé de maman, alors elle est pas obligé de ramener des garçons à la maison. Moi je sais pas ce qu'ils font, mais c'est drôlement bruyant. Puis ça me fait un peu peur, parce que des fois maman elle crie. Mais elle veux pas que j'ouvre la porte. Une fois, j'ai ouvert. Maman elle était à quatre pattes et y'avait un garçon derrière elle, je crois qu'ils étaient en train de jouer. Mais maman m'a grondé parce que j'avais ouvert la porte, alors je l'ouvre plus.
Aujourd'hui, la maitresse m'a crié dessus parce que je m'étais endormi sur ma table. Elle dit qu'il faut que je dorme à la maison et que si ça se reproduisait, elle appellerait mes parents. Sauf que j'ai pas de parents. J'ai pas de papa comme tous les autres. Moi j'ai juste un maman. Une maman qui oublie de venir me chercher à l'école ; qui préfère acheter une poudre blanche bizarre plutôt que mes céréales ; qui a vendu la belle guitare que j'ai gagné à l'école parce qu'il faut bien qu'on mange. Une maman qui oublie ce que ça veut dire d'être maman et qui préfère être avec des garçons plutôt qu'avec son fils. Seulement, il ne faut pas que la maitresse appelle maman. Elle lui ferait perdre du temps, et maman dit que le temps, c'est de l'argent. Alors j'ai décidé de tout faire pour dormir ce soir … Je me lève silencieusement et je vais dans la salle de bain. J'attrape ma couverture rouge qui est dans le placard et je la mets dans la baignoire. Déjà, j'ai de la chance, on a une baignoire. Elle est toute sale, mais elle est assez grande pour que je m'allonge dedans pour dormir quand maman fait vraiment trop de bruit. « HEY BLONDASSE ! T'as un truc dans ta baignoire ! » Je me réveille en sursaut en sentant l'eau gelée qui me recouvre. Je ne peux pas réprimer un crie strident qui fait hurler de rire l'homme qui tient le pommeau de douche. Je suis debout dans la baignoire, mon pyjama tout mouillé à regarder cet homme étrange qui m'a jeté de l'eau dessus. « Elle est bonne la ptite tafiole ! Jvais ml'a faire » Je comprends pas très bien. Mais il s'approche de moi … et il n'a pas l'air très gentil. Je pleure pas. Maman m'a dit que c'est pas bien de pleurer. Que je suis moche quand je pleure et que je serais jamais une super-héro si les larmes coulent de mes joues. Il baisse son pantalon et me sort de la baignoire. Maman est arrivée à ce moment là. Elle avait pas l'air très contente et elle l'a jeté dehors. Et après elle m'a crié dessus en me disant que j'étais bête et que je servais vraiment à rien. Alors je suis parti dans ma chambre pour pouvoir pleurer sans qu'elle me voit. J'ai pleuré pendant longtemps je crois. Parce que quand je suis revenu pour m'excuser. Maman était partie. Je suis allé voir dans sa chambre, mais il n'y avait plus ses habits … Plus ses affaires. Alors j'ai pleuré encore et encore. Il a fallu trois jours pour qu'on se rende compte que quelque chose n'allait pas. Je suis resté trois longues journée, seul, assis par terre, à ne manger que des gâteaux parce qu'il n'y avait plus personne pour me nourrir. Plus personne pour se rendre compte que je n'allais pas à l'école. Plus personne pour m'aimer et me protéger. Du haut de mes six ans, je me retrouvais seul. Pas de papa, pas de maman. Je n'avais que quelques jouets et un cœur d'enfant. Rempli d'espoir. L'espoir de vivre un jour comme tous les autres. Dans une vraie maison. Avec de vrais parents. L'espoir d'être simplement comme tout le monde.

Au bout de trois jours, c'est la maitresse qui a prévenu des gens. Et on est venu me chercher. Maman avait laissé un mot. Personne ne m'a laissé le lire et puis plus tard, on m'a fais prendre l'avion. On m'a amené dans une maison en me disant que maintenant, tout serait différent. Maintenant, j'avais un papa. Ce jour là, je me suis promis de plus jamais pleurer. Pour devenir un super-héro.

Je me souviens de la première fois que je l'ai vu. Je venais d'arriver. J'avais peur. De tout. De rien. Je me retrouvais brutalement dans une véritable maison, et non pas dans le taudis dans lequel j'avais toujours vécu. Ma mère n'était plus là, et on m'annonçait, à moi qui n'avait jamais eu de papa, que j'allais vivre avec mon père et sa famille. Une famille française. Moi qui ne parlait qu'anglais ...
Lui, il m'a tout de suite impressionné. Il avait l'air grand. Et gentil aussi. J'ai toujours trouvé qu'il avait l'air parfait … « Pourquoi tu pleures ? Les petits garçons, c'est plus joli quand ça souris tu sais ... » Je n'ai rien compris à ce qu'il a dit, pourtant, je lui ai souris. Je l'ai aimé dès le premier regard. Il est devenu mon modèle. Mon protecteur. Un véritable dieu à mes yeux …

Puis les années sont passées. Il a grandi. Moi aussi. Ma neuvième année est déjà achevée tandis que Liam en compte désormais quatorze … « C'est l'heure de se lever monsieur Liam » les rideaux s'ouvrent en grand tandis que je peine à ouvrir les yeux. Blotti contre mon frère, je profite de ce moment de tendresse que nous permet le réveil. « Tient, monsieur Mael, deux pour le prix d'un. Vous n'avez plus l'age de dormir ensemble les garçons ... » Je gémis légèrement. Liam est peut être grand, mais moi je veux continuer à dormir avec lui. Lena dit qu'il entre dans l'age où on ne veut plus seulement jouer avec son petit frère et que la nuit notre corps se réveille … Je ne comprends pas très bien ce que ça veut dire … Mais Liam a pas l'air d'accord. Je le sens me caresser les cheveux alors que je passe ma main autours de son corps. Mon visage s'est presque automatiquement réfugié au creux de son épaule alors que je respire son odeur. Ce sentiment de sécurité que je ressens quand il me prend dans ses bras, il est le seul à savoir me le donner. « Allez, debout les garçons ! Votre mère va encore crier si nous n'êtes pas levés à l'heure » Je le sens déjà s'énerver contre maman alors qu'elle n'est pas encore là. Je sais qu'en ce moment, Liam et maman crient beaucoup. Lena dit que c'est l'adolescence. Encore un moyen pour me faire comprendre que mon frère grandit et qu'il faudrait que j'arrête de toujours vouloir rester avec lui … Ils ne comprennent pas. Tous autant qu'ils sont. Liam, c'est mon super-héros. J'ai besoin de lui. Tout le temps. Pour toujours. C'est lui et moi contre le monde.

Je garde aujourd'hui cette même fascination inchangée pour lui. Il ne passe pas beaucoup de temps à la maison, mais qu'importe. Aujourd'hui, il m'a promis d'être là, c'est le principal. Il y a tout le monde. Maman, papa et Thomas, il ne manque plus que lui. Maman, ce n'est pas ma mère biologique. Seulement je n'ai de souvenirs de cette femme que les images noires et tristes de mon enfance, quand ceux qui font aujourd'hui ma vie n'étaient pas encore là. Cette femme m'a peut être donné naissance, mais ma véritable mère n'est pas elle, c'est Maya.
J'ai pu lire le mot que ma mère biologique m'avait laissé quand elle est parti. J'avais appris à lire seulement pour ça. J'avais donné tout ce que j'avais car on m'avait dit que ça ne servait à rien qu'on me le donne puisque je ne savais pas lire le français. Alors j'ai appris seul, ou du moins, c'est Liam qui m'a appris. Et quand enfin j'ai su, ils ont accepté de me le donner. J'avais toujours cru qu'elle m'avait écrit une longue lettre pour expliquer pourquoi elle me laissait. Pour me dire qu'elle m'aimait mais qu'elle était obligée. Non, il n'y avait que six mots. ''Bastien Levy, c'est son père''. Elle n'avait pas même pris la peine de laisser un mot à mon attention. Ce jour là, j'ai compris que cette femme ne serait jamais ma mère. Qu'il fallait que j'oublie. Ma famille, c'était eux. Pas elle. Ils m'avaient protégé en refusant de me montrer ce mot ... Ils m'avaient juste protégé.
Les heures passent, et Liam n'est toujours pas là. Pourtant, je ne perds pas espoir. Je suis sur qu'il va venir. Il m'a promis. Il tient toujours ses promesses. « Mael … C'est bon, il viendra pas … Il a peut être oublié ... » Pourquoi son propre père ne croit-il pas en lui ?! Il ne peut pas avoir oublier. C'est mon anniversaire ! Il ne peut pas oublier mon anniversaire ! « Il va venir. Il m'a promis » Pourtant, je sais très bien que je me mens à moi même. Il ne viendra pas …

J'ai compris avant tous les autres … Quand j'ai vu Soan arrivé avec du sang partout, les yeux rouges d'avoir trop pleuré. Liam n'était pas venu. Et si il n'était pas là, c'est qu'il y avait eu un problème. Il passait son temps avec ses potes à dealer et foutre la merde dans ces putains de guerre de gang … J'ai éclaté en sanglot avant même qu'il n'ouvre la bouche, me blottissant contre celui qui venait nous annoncer ce qui allait détruire notre vie. Tout était déjà plus terne. Plus gris. Plus moche. Le monde redevenait brutalement ce qu'il avait toujours été. Une putain de grosse boule que l'on détruit jour après jour. Où la médiocrité subsiste envers et contre tout, dissimulant ces quelques éclairs de lucidités trop vites effacés. Où la stupidité et l'ignorance règnent en maitre, camouflant ces quelques rayons de soleil derrière des nuages de conneries et de frivolités. Il n'était plus là et la beauté disparaissait avec lui. Je sentais les bras de Soan me serrer contre lui, partageant la douleur qui nous prenait le cœur à tous les deux. « Pardon … Pardon … J'ai pas pu le protéger ... » Je crois que c'est là qu'ils ont compris. C'est là que mes parents ont réalisé ce qui était en train de se passer sous leurs yeux. Tout ce sang. C'était celui de leur fils. Celui de l'ainé de la famille.

Deux mois sont passés. Deux mois qu'il n'est plus là. J'ai tellement mal. Il me manque. A tel point que j'ai l'impression de mourir dès que je pense à lui. Souvent. Tout le temps. Je n'arrive plus à avancer. Il était mon éclaireur, ma bouée de sauvetage. Sans lui je suis perdu … J'ai décidé de m'éloigner. Pour réfléchir. Je veux essayer de retrouver ma mère. Peut être qu'elle pourra t-elle m'éclairer sur la personne que je suis. Je dois retourner en Angleterre. On vivait là bas avec elle. Seulement, c'est loin. C'est loin et je n'ai jamais vraiment eu le sens de l'orientation … Je suis épuisé. Fatigué de trop marcher. Fatigué de ne pas vraiment savoir comment y aller. Seul et perdu. J'ai traversé sans faire attention pour prendre le bus sur le point de partir, et je me suis retrouvé étalé au beau milieu de la route, renversé par une voiture. Peut être que je vais le retrouver. Peut être que je vais juste mourir là. Maintenant. Ça serait bien ...

Deux jours. Il a fallu deux jours avant que j'ouvre de nouveau les yeux, me retrouvant face à un sourire renversant. Face à cette impression de découvrir un ange. Alors comme ça, j'étais mort et je me retrouvais au paradis … Puis la douleur a commencé à se faire sentir, puis, peu à peu, mes yeux se sont habitués à la lumière. Je réalise que l'homme qui me fait face n'est pas un ange. Il en a l'air, bien sur. Mais il n'en est vraisemblablement pas un. Il est terriblement beau. Ses cheveux qui semblent hésiter entre le blond et le châtain lui tombent délicatement sur le front, mettant en valeur ses magnifiques yeux bleus. Il sourit. Un sourire espiègle qui semble presque se moquer de moi qui l'observe si attentivement. Puis finalement, après quelques minutes, je me rend compte que je n'ai aucune idée du lieu où je me trouve. Je me lève alors brutalement, faisant glisser la couverture et laissant dévoiler mon sexe à découvert. Je pique rapidement un fard et la remonte immédiatement, cachant de nouveau mon intimité. « T'inquiète pas, il n'y a rien à voir de toute façon. Oh et, ça t'arrive souvent de te jeter sous les voitures ? » Je lui jette un regard noir. Il m'a l'air drôlement moins sympa d'un coup. « Non, je préfère les ponts c'est plus efficace. » A croire que l'ironie n'est pas quelque chose de très utilisé chez lui … « Super ! On est tombé sur un suicidaire. Alors que fait une gamin comme toi tout seul ? » Si je n'étais pas à moitié nu et qu'il ne faisait pas vingt centimètres de plus que moi, je crois que j'aurais éclaté sa tête contre le mur. Littéralement. Je me contente pourtant de répondre de ma voix la plus agressive possible « Je suis pas un gamin » Il rigole à ma réponse. Son air supérieur m'agace profondément … « T'as quoi, onze ans ?! » Je suis blessé il faut bien l'avouer. Je n'ai pas l'air d'avoir onze ans si ? « … J'ai treize ans ... » Je vois de nouveau son sourire de vainqueur s'afficher sur son visage. « Ouais t'es un gamin quoi » Je sens le rouge me monter légèrement aux joues. Je déteste qu'on dise que je suis un gamin. Je n'ai rien d'un gamin. J'ai peut être simplement treize ans, mais j'ai surement vécu bien plus de trucs que lui. Il n'a pas le droit de dire ça. « tu peux parler, t'as pas l'air d'avoir plus de cinq ans d'age mental ... » Il est surement plus grand, mais il reste un petit de gamin dans sa tête. A me tenir tête. J'ai peut être treize ans, mais je n'ai aucunement l'intention de me laisser faire par un petit prétentieux. J'ai pas peur des plus grands. « Ouhhh, mais c'est qu'il mord le petit. J'ai vingt ans mon pauvre gamin, alors tes cinq ans d'age mental, tu peux les garder. » J'étais sur le point de rétorquer une bonne phrase cinglante quand une vieille femme entra dans la chambre. « Jules, arrête d'embêter ce petit veux-tu ? J'ai fais à manger, tu devrais venir, ça fait deux jours que tu n'as rien avalé. » Deux jours que je n'ai rien mangé ?! » C'est vrai qu'à bien y réfléchir, je sens mon ventre se tordre pour réclamer de la nourriture. Je me lève avec l'aide de la vieille femme et m'habille pendant que le gamin -apparemment Jules- marmonne dans sa barbe des paroles des plus agréables à mon égard.

La vieille femme a décidé de je resterais ici tant que je serais pas rétablis. Jules doit me montrer la chambre où je vais dormir, et évidemment, notre discution tourne une nouvelle fois à la dispute. Il me traite de gamin. Encore et encore … « JE SUIS PAS UN GAMIN ! » Je le vois s'approcher de moi, un sourire malicieux éclairant son visage. Il pose sa main sur mon sexe « C'est pas ce que dis ton corps … mon petit » Je me dégage violemment, piquant un fard. « sale pervers ! » et je rentre dans ce qui me servira de chambre pendant quelques jours. Je ne me suis pas encore développé. Je suis encore petit et mon corps n'a pas atteint sa taille normale … Ce n'est pas ma faute après tout ..

Je passe une bonne partie de la nuit à écrire une chanson. Une chanson qui parle de la recherche de sois-même. Écrire me permet d'évacuer mes pensées. Mes souffrances. Je ne laisserais jamais personne lire tout ça. C'est trop personnel. Mes textes reflètent tout ce que je tente de cacher. Toutes la souffrance de mon cœur. Je m'endors finalement dessus et je suis réveillé par des bruissement de feuilles ... Jules, lisant ce que je viens d'écrire. « PUTAIN ! T'AS PAS LE DROIT DE LIRE ! C'EST A MOI ! MERDE TU FAIS CHIER ! » Il me regarde. Silencieusement. Il n'a plus cette lueur d'arrogance au fond des yeux. Je me sens frissonner légèrement face à ce regard qui me trouble plus que je ne devrais l'être. « je crois que c'est une des plus jolie chose que j'ai jamais lu ... » J'aurais voulu être capable de me contenter de lui crier toutes les horreurs du monde, mais ce qu'il vient de dire me touche profondément. Personne n'a jamais lu un seul de mes écrits et ce qu'il vient de dire, avec cette profonde sincérité, est un vrai trésor à mes yeux. Je plonge mon regard dans le sien, me perdant dans cet océan azur. Putain … Il me fait peur … Mes sensations me font peurs …

La journée est passée rapidement. Sans même que je ne me dispute vraiment avec Jules. Je me retrouve dans ma chambre, assis sur mon lit, la couverture sur la tête. Dehors, l'orage gronde. Je n'ai jamais vraiment aimé ça. J'aurais aimé que Liam soit là. Pour qu'il me sert dans ses bras. Je sursaute quand j'entends quelqu'un frapper à la porte … « Coucou, ça va ? Comme il y a de l'orage … Je suis venue te voir si tu ne pleurais pas comme un bébé. » Je ne souris même pas. Je réponds simplement, les yeux dans le vide « Je pleure pas » Je sens Jules venir s'assoir près de moi « C'est ça ... » Je le sens près de moi frissonner à chaque grondement. Malgré moi, un petit sourire s'affiche sur mon visage. « Tu dis ça, mais en fait, c'est toi qui a peur et tu ne veux pas rester tout seul … » Il me regarde silencieusement avant de lâcher un simple « … idiot ... ». Malgré ça, il vient se mettre juste à coté de moi sur le lit, mettant également la couverture sur sa tête. Je me retrouve alors très proche de lui. Je le sens trembler à chaque éclair. Sa peur semble être mille fois pire que la mienne. Je ne dis rien. Le regardant à peine. « Alors comme ça, t'as peur de l'orage … C'est très viril ça ... » Je ne l'avouerais pour rien au monde, mais sa présence, si près de moi, me trouble terriblement. « C'est pas drôle ... » Un éclair illumine alors brutalement la pièce suivit presque immédiatement d'une grondement horrible. Je sens Jules se réfugier dans mes bras tel un enfant. Il a vingt ans, j'en ai treize. Pourtant, à cet instant, c'est moi qui me retrouve à lui caresser les cheveux pour tenter de le rassurer. Je découvre une nouvelle facette de lui. Plus fragile. Plus humaine. Pendant près d'une heure, je me suis blotti contre lui, caressant tendrement ses cheveux et son visage pour lui faire oublier tous ces grondements qui résonnent dans la chambre. Alors que l'orage se termine enfin, la voix de Jules se fait entendre … « Il y avait de l'orage ce jours là … Mes parents étaient sortit pour diner en amoureux. J'avais douze ans, ils avaient donc décidé de me laisser seul à la maison. Ils devaient revenir vers dix heures et demi … Mais ils ne sont jamais revenu. Il y avait eu une prise d'otage dans leur restaurant ce jour là. Cinq otages sont morts sur cinquante trois. La police à conclue que c'était une opération réussi. Mais j'ai attendu tout seul avec l'orage que mes parents reviennent. Ça n'a pas vraiment été une opération réussi pour eux. Ni pour moi … » Il fait une petit pause avant d'ajouter timidement « J'ai lu une partie de toi tout à l'heure … C'est la partie de moi que je te donne en échange … » Je sens les larmes me monter doucement aux yeux. Foutu sensibilité … Je suis touché qu'il me dise ça. A moi. Après tout, je ne suis rien pour lui. Un simple gamin ennuyant … Je le sens passer sa main sous mon menton, me faisant relever les yeux vers lui. Il dépose un bisou sur ma joue … Puis ses lèvres se rapprochent dangereusement des miennes. Je sens son souffle se mêler au mien et mon cœur battre très vite. Je ne comprends pas mes réactions. Mon cœur qui s'accélère autant devant un garçon. Un garçon … « quand on embrasse, il faut fermer les yeux, c'est la règle » je souris malgré moi, fermant doucement mes yeux sans même réfléchir, prêt à sentir ses lèvres contre les miennes. Sa langue jouer avec la mienne. Mon cœur bat à toute vitesse … mais le baiser ne vient pas … « si tu veux que je t'embrasse pour de vrai, grandis un peu, deviens un beau jeune homme et fais moi tomber amoureux ... » ma réaction ne se fait pas attendre. Je m'écarte brusquement, attrape un oreiller et le frappe avec « SALE PERVERS OBSÉDÉ ! JE SUIS PAS GAY ! » On se retrouve à se faire une bataille de polochon avant de s'allonger l'un contre l'autre, épuisés. Malgré tout. Malgré ce qu'il me fait ressentir. Je ressens un rapprochement entre lui et moi. Peut importe que ça soit bizarre, j'ai besoin d'en parler avec lui … Je lui raconte pour ma mère biologique. Pour mon père et ma mère qui sont restés à Paris. Il m'a raconté pour ses parents. Je me sens obligé de lui raconter également. J'omets simplement Liam. Épisode bien trop douloureux pour en parler …

Le réveil est difficile. Une rencontre avec la réalité bien trop brutale à mon goût. Mon père débarque. Dans la chambre. « PUTAIN MAEL T'ES INCONSCIENT OU QUOI ?!! » Je sursaute comme jamais. Mais qu'est ce qu'il fout là bordel ?!! Jules apparaît derrière lui, me regardant, légèrement désolé. Putain de connard. Les larmes me montent aux yeux tandis que j'ignore royalement mon père, me ruant sur Jules « Jte faisais confiance putain ! T'avais pas le droit !! Jt'ai dis que c'était important ! Jt'ai dis que j'avais besoin de la retrouver !! » Il reste impassible, me caressant même doucement les cheveux. Puis il lâche « Tes parents sont ceux qui t'ont élevés et ils devaient être morts de trouille » d'une voix monotone avant de se dégager, me poussant vers mon père. « Jte déteste Jules ! » Je me laisse finalement faire, mon père et moi finissons dans les bras l'un de l'autre à s'excuser mutuellement comme une vraie famille. Jules a raison, ma mère c'est Maya. Celle qui m'a mise au monde n'est rien. Malgré tout, je reste blessé par ce qu'il a fait. Je lui avais fait confiance …

Pourquoi est-ce que ça me fait si mal qu'il veuille que je parte … Est-ce que je suis si anormal ? Pourquoi ressentir ça pour un garçon ? Est ce que c'est ça l'amour ? Cette satané envi de rester un peu plus longtemps auprès de lui … Je ne le connais que depuis eux jours, pourtant, j'ai l'impression de le connaître depuis toujours. Bordel, je suis pas gay …

Et puis on est rentré et je me suis mis à penser à ces quelques jours d'évasion. Papa m'a déposé devant la maison, repartant immédiatement au travail. J'ai ouvert la porte silencieusement avant d'appeler maman et Thomas. Sans réponse.
C'est lorsque je suis arrivé dans la cuisine que j'ai compris la raison de ce silence. Que j'ai compris qu'une nouvelle fois, ma vie s'arrêtait ici, avec la perte d'un être cher. Qu'une nouvelle fois, le rouge écarlate du sang réduisait ma vie à un enchainement de douleurs sans nom. Maman était là. Allongée par terre, les poignets entaillés et un couteau dans le ventre. Thomas, tout contre elle, ne pleurait même plus. Il était là, les yeux vide. J'ai mis un moment à réaliser ce qu'il se passait. A comprendre que tout ça n'était pas une blague. Et la seule chose qui sortit de mes lèvres fut un hurlement de douleur. Un hurlement d'injustice. Pourquoi ? Pourquoi encore ?! Je m'écroule finalement près de mon frère, pleurant comme il a du pleurer. Je ne sais pas depuis combien de temps il est là, contre maman, mais cela doit déjà se compter en heure. Je le sers contre moi. Fort … Comme pour lui montrer que je suis toujours là. Qu'on y survivra. Encore. Il me montre un papier sur la table de la cuisine, sans ouvrir la bouche. Je me redresse avec difficulté pour le lire. Et je ne fais qu'en crever un peu plus. Mon départ a l'évènement déclencheur. Ma mère s'est suicidé à cause de moi … Je vais crever.

C'est là que tout a déconné. Pourquoi chercher à tout faire bien pour que tout me soit repris ? Mon grand frère est mort, ma mère s'est suicidé, mon père se boit dans le travail et mon petit frère n'a plus ouvert la bouche depuis cinq ans. Aujourd'hui, j'ai dix huit ans et mon monde est bien différent de celui de mes treize ans. J'ai grandis. J'ai oublié ce putain de gamin trop fragile que j'étais il y a des années. J'aime les filles. C'est tout. J'aime les filles … Des putains d'apparences. Je me vente encore et encore de mes exploits. Pourtant, rien. Je n'en ai touché aucune. Jamais. Personne.
J'ai dix huit ans, et putain, je crève tous les jours un peu plus face à ce monde qui n'est pas le miens. J'ai peur. De moi. D'eux. Pourquoi mon regard s'arrête t-il si souvent sur leurs fesses à eux ? Pourquoi mes yeux se fixent sur l'homme et plus sur la femme quand je mate un porno ? Pourquoi je me retrouve à embrasser des mecs quand je suis trop bourré pour me contrôler ? Putain …
Je m'évade. Dans un paradis artificiel. Avec des amis qui ne devraient pas l'être. Avec des produits qui ne devraient pas couler dans mes veines. Je me meurs. Chaque jour un peu plus …
Les années passent, les questions s'accumulent. Suis-je si différent ? Vais-je réussir à vivre ?