▷ le personnage.

- Zora est née dans la Seine-Saint-Denis et y a toujours vécu. Fille d’immigrés, elle a vécu au milieu de sa dizaine de frères et sœurs – qui en fait pour certains étaient ses cousins et cousines, sa mère habitant avec ses deux sœurs. Zora n’a jamais vraiment connu son père, ce dernier s’étant fait expulser de France alors qu’elle avait six ans. Depuis, il tente de retourner auprès de sa famille, en prétextant le regroupement familial. Mais l’administration française prend son temps. De plus, ses parents ne se sont jamais civilement mariés, ce qui complique bien des choses. Et, il n’a jamais reconnu ses enfants. La paperasse n’a jamais été son truc. Sur le papier, son père n’est pas son père – mais cela n’empêche pas Zora de lui envoyer, de temps en temps, de longues lettres. Et de l’appeler, quand elle le peut. Pour que, quand il reviendra, ils n’aient pas l’impression d’être deux inconnus.

- Zora n’était pas mauvaise en cours et même, était une des rares à suivre ce que disaient les professeurs. Ces derniers l’appréciaient et plaçaient en elle beaucoup d’espoirs. Ses notes étaient moyennes, mais son intelligence brillait. Excellente en sciences, la demoiselle remporta divers concours, de petite et moyenne envergure pendant sa scolarité. Qu’importe son état. Même enceinte.

- Oh, Zora avait toujours rêvé d’être mère. Dès son plus jeune âge elle avait aidé ses mères et tantes avec ses cadets. Aussi, les voisins savaient qu’ils pouvaient compter sur elle quand ils avaient besoin de quelqu’un pour garder leurs enfants. Pas besoin de la payer beaucoup, aussi. La jolie était déjà contente de garder des enfants. D’ailleurs, elle désire devenir pédiatre, ou puéricultrice. Un truc avec des gosses, quoi. Elle fut très contente quand elle partagea avec Clarence, son petit ami, son désir de construire une famille. Mieux ! Ce dernier le partageait. Et à dix-sept ans, paf – en cloque la Zora. Ce n’était pas rare d’être enceinte si jeune dans son entourage et n’était pas la première à se ramener en cours le ventre rond.

- Elle eut deux autres enfants, par la suite. Une à dix-neuf et une autre à vingt ans. Une situation heureuse mais difficile, parce qu’elle commençait alors ses études en médecine. Elle se maria à la venue de son troisième enfant, aussi. Pour créer une famille qu’elle voulait parfaite. Mais qui ne l’était pas. Clarence, bien qu’elle l’aimait, l’adorait, le chérissait et que tout cela était réciproque, ne cessait de faire chavirer leur quotidien. Ses infidélités, ses dépendances et ce que cela entraînait. L’incapacité de savoir s’il serait là. Ses sautes d’humeur. Ses peurs. Ils avaient réussi à avoir un appartement, pour eux et leurs enfants alors que Zora atteignait ses dix-huit ans. Mais elle ne pouvait pas travailler, avec leurs trois filles (Blondie, Doe et Rêve) et ses études. Alors Clarence faisait son possible pour ramener assez d’argent pour subvenir à leurs besoins. Parce que les allocations ne couvrent pas tout et qu’on leur en refusait pas mal, sous divers prétextes. Discrimination envers leurs origines. Le fait qu’ils étaient soi-disant trop jeunes pour être parents. Qu’ils se droguaient certainement. Que Clarence avait fait de la prison.

- Puis, il y eut cette nuit. Il y a huit mois. Rêve ne voulait pas aller se laver, alors Clarence l’avait soulevée, par un bras, pour la porter jusqu’à la baignoire. Un geste un peu trop brusque, qui déboîta l’épaule de l’enfant. Et aucun des deux parents ne savait vraiment à quel point la petite souffrait. Clarence la tête ailleurs – dans ses drogues et les factures. Zora perdue dans ses études, si difficiles. Rêve qui ne cessait de pleurer. Zora en eut tellement marre qu’elle osa secouer violemment sa fille pour tenter de la faire taire, alors qu’elle savait ce geste être prohibé. Alors ils décidèrent d’amener la petite voir le pédiatre, constatant que rien ne la calmait. Une épaule démise. Ouh ! Et ce n’était pas le premier accident. Derrière leur dos, une demande de placement pour leurs enfants rédigée par le médecin, pour qui les petites étaient maltraitées. Bref. Voilà les trois perles de Zora et Clarence qui leur étaient enlevées.

- Zora resta quand-même avec Clarence. Parce qu’elle ne voulait pas croire que c’était fini. Que cela pouvait être fini. Cela ne l’était pas encore, jusqu’à il y a trois semaines. La demoiselle décida à ce moment-là de retourner avec ses parents. De toute façon, l’appartement leur était retiré, faute d’impayés. A la rue, qu’ils étaient. Et Clarence, elle ne le supportait plus. C’était de sa faute si tout avait pris cette tournure. Si on avait pris leurs filles. C’était aussi de sa faute si elle se sentait comme morte. Atrabilaire. Il disait l’aimer mais ne cessait de courir après d’autres. C’était lui aussi qui l’avait faite sombrer dans la drogue. Il lui avait filé « de quoi tenir » plutôt que de l’aider avec les gamines. Toujours dehors, à faire la bringue. Voilà, c’était la fin. Il n’avait plus que ses yeux pour pleurer et ses bières pour oublier.

- A présent, Zora veut tout recommencer. D’abord, elle veut divorcer. Mais Clarence ne répond pas – il refuse. Elle le cherche, pour lui en parler. Le mettre devant le fait accompli, lui montrer que tout est fini. D’ailleurs, la famille de Zora la soutient dans sa démarche. Ce petit con n’a fait que la détruire. Il lui a certes donné trois jolies et mignonnes petites filles. Mais ce n’est pas assez cher payé pour tout ce qu’il lui a pris. Et même – par sa faute, Blondie, Rêve et Doe ont été kidnapées par l’Etat. Zora s’en rend compte à présent. Certes elle l’aime, mais ne souhaite plus vivre avec lui et ses conneries. Zora veut arrêter la drogue, veut finir ses études en médecine et retrouver ses filles. Zora veut rencontrer un mec bien, reconstruire une famille. Avoir un joli appartement, si possible dans un meilleur quartier que celui où pour le moment elle vit. La réussite sociale, quoi. Zora s’en sait capable. Zora sait qu’elle y a le droit. Elle bosse dur, et bien. Mais d’abord, il faut qu’elle se débarrasse de Clarence. Même si cela lui tord les tripes. Clarence ! Elle pleure encore en pensant à lui.

▷ le lien.

Clarence, c’est son premier amour. C’est son mari, aussi. Quoiqu’elle souhaite divorcer – bien que lui s’y oppose. Il s’y oppose en fuyant. En ne répondant pas à ses lettres ou ses appels. Zora sait bien qu’il est quelque part, dans ce gigantesque Paris. Qu’il se terre, qu’il refuse de la voir pour pouvoir la garder. Mais il doit accepter qu’entre eux, c’est fini ! Même si leurs cœurs battent encore quand ils pensent l’un à l’autre. Quoiqu’elle s’est souvent demandé si Clarence l’aimait véritablement, vu le nombre de fois où il l’a trompée. Mais pour lui, la fidélité n’est pas une obligation. On ne lui a jamais inculqué cette valeur, pourtant si classique. Quelque chose que Zora ne supporte pas. Cela la tue, de l’imaginer dans les bras d’une autre. De l’imaginer en train d’appeler une autre. Oh ! Mais cela doit changer. Ils vont divorcer. Elle va revivre. Ce sera la fin de cette relation difficile, qu’elle entretient depuis ses quinze ans. Elle va se soigner, se curer de ce cancer qu’est leur amour.

Il lui avait plu, ce petit bout d’homme ! Qui faisait le fier bien qu’étant à la rue. Dormant chez un ami, ou dans cette cage d’escalier. Elle le connaissait depuis longtemps. Ils ont grandi dans la même cité, dans les mêmes écoles (tout du moins, jusqu’à ce que Clarence arrête ses études). Avec son regard clair, ses taches de rousseur. Ses mots vulgaires mais son amour inconditionnel. Coup de foudre. Et c’était genre, « toi et moi pour la vie ». Mais le truc c’est que l’amour ne suffit pas. Alors Zora veut tourner la page et écrire la suite de sa vie, sans avoir à y inclure Clarence. Même si elle sait que cela lui fera très mal. Que déjà il ne va pas très bien – il l’aime, et aime aussi leurs filles. Zora sait que malgré ses sourires Clarence contemple le suicide. Qu’il dit qu’il va bien en retenant ses sanglots. Que s’il dit vouloir s’en sortir, il n’a pas le soutien pour. Clarence finira par crever dans une ruelle sombre. Bah ! La douleur est partagée. Zora a bien maigri. Zora dort moins. Zora regarde les lames des rasoirs avec un trop grand intérêt. Mais c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Divorcer, se montrer un peu égoïste. Se sauver au moins elle, plutôt que de chuter avec Clarence.