Matheo Duchamp

Aspire. Tire sur ce bâtonnet incandescent qui te fait joyeusement oublier tes problèmes. Expire. Fini le stade où tu crapotais, te noyais presque dans cette fumée grisâtre, noirâtre. Tes poumons sont abimés depuis tellement longtemps que tu peux plus faire ton jogging matinal. Fini l’époque où tu courrais fièrement derrière les jolies filles, maintenant t’es plus du genre à attendre qu’elles viennent poser leurs jolies p’tits culs dans ton lit. Et qu’elles repartent avant qu’tu te lèves. T’es seul, face au néant de la vie, te moquant éperdument du lendemain, savourant déjà les conneries que t’as pas encore faites. On t’a répété durant toute ta vie que t’avais du temps. Mais du temps t’en as plus maintenant. Alors tu cours derrière l’éphémère et t’espère qu’il sera là pour rattraper tes conneries. Lui ? Ton meilleur ami, ton bras droit, discret et solitaire qui malgré tous les coups que tu lui fais, est toujours là pour toi. Au fond vous êtes pareils, un peu comme des frères. Il est la famille que t’as jamais eu. Et tu te demandes bien ce que ça fait d’avoir une famille. T’es tout seul depuis ta naissance et tu peux en dire plus sur les dix dernières gouvernantes que t’as eu, et que t’as fait virer illico presto, que sur tes parents. Ta mère, un top modèle suédois monté comme un meuble Ikéa, sur qui tous tes potes fantasment. Dès qu’elle est dans les parages, tu vois débarquer chez toi une dizaine de fils adoptifs, qui bandent dès que madame à le malheur de se baisser et faire dépasser son string de sa mini-jupe. Ton père, un riche homme d’affaire qui passe plus de temps à s’envoyer en l’air et à gagner des millions qu’à signer tes bulletins. Toi t’as jamais dit Papa ou Maman comme premier mot. Au contraire, tu les évites ces pseudonymes. Puis faut dire ce qu’il en est, tu t’en fous que Maman passe plus son temps dans la coke que dans les couches et que Papa ne se rappelle plus de combien de chèques il a signé pour que l’gosse ne se retrouve pas avec des frères et sœurs illégitimes. De toute façon t’as Mael. Mael c’est ton partenaire, ton modèle, ton jumeau. Votre rencontre est aussi atypique que votre histoire. Tu peux pas te passer de lui, et il peut pas se passer de toi. Et t’aimes cette emprise que t’as sur lui, comme celle qu’il a sur toi. On a beau croire tout ce qu'on veut, que c'est toi le sans coeur et lui l'humain, c'est toujours toi qui reviens quand tu fais une connerie. Toi qui déteste tellement la solitude, le manque d’affection et l’anonymat, c’est toi qui reviens vers lui. Et en un sourire vous êtes de nouveau pote. C'est comme si personne n'avait jamais quitté la maternelle. Vous êtes un peu comme des gosses, totalement perdus mais rêveurs. Naïfs mais blasés par le peu de vie qui s'offre à vous. Tu te souviens de votre rencontre. Toi le pauvre gars bourré, le sourire aux lèvres, un joint entre ces dernières et une simple mimique lorsque ton regard a croisé le sien. Tu te souviendras toujours de ça, c’est comme ancré dans ta mémoire, un instant furtif qui te hantera toute ta vie. Tu t’étais avancé vers lui, et d’un doigt, t’avais appuyé sur son épaule. Il s’était retourné aussi foncdé que ton pauvre cadavre et tu l’avais regardé, ton sourire la con plaqué sur ton putain de visage. Puis t’avais simplement bridé tes yeux à l’aide de tes doigts et t’avais lancé au milieu de cette pièce, de ce monde : « Hey, tu veux être mon ami ? » C’était le temps de l’insouciance, le temps de la décadence. Vous viviez dans une bulle dorée, votre prison aux barreaux ambrées et aux lignes toujours aussi droite.
Et t’as beau dire que tu te fous de tout, tu sais que s’il partait tu pourrais en crever. T’aime déjà pas que quelqu’un d’autre que toi s’approche de lui. C’est ta chose. Et t’es la sienne.

Aspire. Vois-tu comme l’illusion t’emporte déjà au loin ? Proche de la déchéance, tu vis pour le plaisir. Ca fait cool à c’qui paraît. Et c’est tant mieux. T’aime ça avoir l’air cool, ça te fait te sentir vivant. T’aime voir les nanas te dire bonjour et les mecs te demander à quelles soirées tu vas aller. Si c’est bien toi qui a fait couler une bagnole de flics dans la piscine du maire. Ou encore si t’as réellement couché avec la prof de philo pour avoir cette note terrible au dernier devoir. Et ça te fait rire. Une tafe de plus et tu t’abandonnes au plaisir. Tu files le joint à quelqu’un d’autre et tu rigoles. Tu sais pas pourquoi, et ça t’fais rire encore plus. Au loin t’entend déjà les sirènes des flics qui arrivent. Tu te dis que t’as encore cinq minutes avant qu’ils débarquent. Alors tu repenses à ta vie.

Toi le pauvre gamin qui errait encore dans les rues de Stockholm à l’âge de six ans et qui s’est retrouvé du jour au lendemain dans une grande maison à Paris. Tu demandais rien à personne mise à part un peu d’amour. Résultat, tu te retrouves dans une maison vide et des parents adoptifs aussi vivants que tes parents biologiques. Tu sais pas ce qu’il s’passe mis à part que ton frigo est bien rempli chaque semaine. T’es pas du genre à avoir quatre bagnoles chez toi, mais tu peux te permettre de vider les caves du paternel une fois par mois.

Quatre minutes. T'ouvres les yeux et tu vois Mael. Aussi défoncé que toi, vous vous souriez, comme si vous étiez les seuls à vous comprendre. Et c'est le cas. Perdu dans l'immensité du monde, il est ta bouée de sauvetage. Et faut pas se voiler la face, t'as toujours secrètement espéré que vous seriez plus que ça. Tu te souviens avec un sourire de ces nombreuses soirées où lorsqu'il tombait sur toi au jeu de la bouteille, on avait pas besoin de te presser pour que tu lui roules une pelle. T'es comme ça, de toute façon. Quand t'as une idée, tu fais tout pour la réaliser, même si tu dois le blesser pour ça.

Trois minutes. Et Mael dans tout ça ? Tu te dis que vous faites la paire, après tout, c’est un peu comme si vous étiez des jumeaux, des siamois. Et des fois t'as l'impression que vous êtes vraiment de la même famille. Tu ferais tout pour lui comme il ferait tout pour toi. Après tout c'est la moindre des choses, vous êtes un peu comme des oubliés. Pas de famille, pas de véritables amis, juste une fortune assez conséquente pour vivre dans le déni. Tu squattes chez lui comme il squatte chez toi, peu importe le moment, l'heure et encore moins si l'un de vous deux est accompagné. Sa sœur est devenue la tienne et tu tuerais le premier qui voudrait lui faire du mal, toi y compris si ça devait arriver. C'est toi et lui, lui et toi, à la vie, à la mort. Et t’as beau avoir toutes les nanas à tes pieds, y en a jamais une qui saura gagner ton amour et ton respect comme Mael l'a fait. Lui et toi c’est indescriptible. C’est comme si tu savais ce qu’il allait dire et faire avant même qu’il ouvre la porte de ta chambre, s’affale sur ton lit et te demande si t’as un plan pour ce soir.

Deux minutes. Parlons-en de ce soir. Cette méga fiesta, le nirvana des fêtards. Organisé par un mec que tu connais pas mais qui te vénère, t’as tout de suite sauté sur l’occasion.
T'as même pas eu besoin de le forcer à venir cette fois-ci, même si vous saviez pertinemment que la fin de la soirée n'allait pas se passer de la même façon pour vous deux. A la limite tu te doutais que c’était lui qui allait te sortir de la maison, et de ton vomis accessoirement, pendant que tu lui répèterais que tu l’aimais comme ta propre vie et qu’il acquiescerait en te balançant un bon seau d’eau froide sur la gueule pour te faire décuver. Il trouvera ça drôle parce qu'il est encore plus pété que toi. Ça a toujours été ça entre vous. A la fois conscient et inconscient à essayer de rassembler les morceaux, même si vous savez pertinemment que c'est dérisoire.

Une minute. T’es là allongé dans ton canapé, tu bouges pas alors que tout le monde s’agite, fébrile. Les flics arrivent, ils sortent de leurs voitures et toi tu souris. Parce que tu sais que tu vas encore passer une nuit dans une cellule grisâtre à décuver en rigolant, le nez dans ton vomi ou coincé entre deux caïds. Tu rigoles tellement fort que les autres te regardent, comme si t’étais malade. Mais au fond d’eux ils savent quel genre de psychopathe t’es. Du genre à se faire embarquer chez les flics juste pour le fun. Du genre à se taper la meuf de ses potes juste parce qu’il est en manque. Du genre à tuer le premier qui ose dire un mot sur son meilleur ami. Du genre à ne jamais avouer à ton meilleur ami que t'es dingue de lui. T’es du genre dur à cuire mais au fond tout le monde sait que tu l’es pas. C’est juste que t’as besoin d’attention. Et que tu l’obtiens en poussant les gens à bout.

Félicitation, chez nous, on appelle ça toucher le fond.

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